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.Elle murmure : — Essaie de ne pas faire l’imbécile, va.Il y a une infinie tendresse dans sa voix qui, tout de suite, redevient dure lorsqu’elle ajoute : — Si vous devez vraiment foutre le camp vers le Nord, ce sera tout de même pas cette nuit.On vous fera passer ce qu’il faudra.On est là pour ça… Comme toujours.— Je reviendrai avec la voiture, propose Koliare.Ils hésitent un instant avant de rire, puis Catherine dit : — Et voilà ! Mon pauvre Alban, je commence à comprendre pourquoi cet énergumène nous a tant poussés à monter un magasin général !14Le médecin a reculé sa voiture le plus près possible de la porte de la cuisine.C’est une énorme Chevrolet où pourraient aisément prendre place sept ou huit personnes.Il prête la main au chargement des sacs.— Vous pouvez y aller, elle est solide.— Je sais que c’est pas du léger, observe Raoul, ils ont eu assez de peine à la descendre du wagon.— Elle est pas d’hier, mais je vous dis qu’elle va durer encore des années.Ils chargent trois énormes sacs de toile, plus le sac à dos du trappeur.Stéphane est parvenu à retrouver, dans l’antre de son oncle, les sacoches de bât d’Amarok.Ils les ont bourrées elles aussi et, dès que le chien voit qu’on les met dans la voiture, il bondit et s’installe à côté.— Bien malin celui qui le ferait descendre, dit Raoul.Catherine et Justine apportent un rouleau de couvertures ficelées de chanvre ; Stéphane deux paquets de pièges et six paires de raquettes.— Je te vois parti pour un bout de temps, remarque l’Ukrainien.— Ça peut nous mener loin.Justine s’approche de Raoul et lui donne un petit paquet.— Pour mon Timax.Puis tu lui dis… tu lui dis bien…Sa voix s’étrangle.Un gros sanglot qu’elle devait retenir depuis un moment crève d’un coup.Catherine la prend par le bras.— Allons, Justine, allons…— J’ai eu trop de malheur…Raoul l’entend à peine.Il monte à l’arrière avec son fusil de chasse et sa carabine.La portière claque.L’Ukrainien s’installe à côté du médecin qui vient de tourner la manivelle et se hâte de monter pour accélérer.Le moteur gronde.— Voyez : ça part au quart de tour – mais faut la connaître.Un qui ne serait pas habitué, avec la compression qu’il y a, il se ferait casser un bras comme une allumette.L’automobile démarre lentement, contourne l’entrepôt et s’engage dans l’avenue.Il n’y a pas âme qui vive.Bon nombre de maisons sont déjà endormies.Elles sortent l’une après l’autre du brouillard pour avancer dans la lueur cotonneuse des phares.À la sortie de la ville, un chien bondit d’un jardin en gueulant.Il suit longtemps la voiture.Amarok se contente de grogner en le regardant avec mépris.À mesure qu’ils s’enfoncent dans la forêt, le brouillard s’épaissit encore.Ils roulent lentement, sans échanger un mot.Ils fixent ce chemin qui semble buter à chaque tour de roue contre une muraille de plâtre.La température doit être un peu au-dessous du gel, l’herbe des talus et les basses branches sont déjà chargées de givre.— C’est droit tout du long, fait Koliare.— Je sais bien.Seulement, les trous, on les voit quand on a le nez dedans.Ils sont secoués et l’Ukrainien ne cesse de grogner.Ils mettent plus d’une demi-heure pour atteindre Val Cadieu.La cure est la première bâtisse du rang, sur la droite, quelques mètres en retrait, presque adossée à l’église.C’est l’absence d’arbres qui leur indique sa présence.La voiture tourne.À cause du brouillard, on jurerait que le clocher a été tronqué aux deux tiers de sa hauteur.Martin Garneau et Ferdinand Rossel apparaissent dans la lumière des phares.Le moteur s’arrête.Koliare descend le premier :— Comment il est ?Les chiens du rang se mettent à tirer sur leurs chaînes en aboyant.Flairant de tous côtés, Amarok reste silencieux.— Pas bien vaillant ! Le père Levé lui a bandé la tête.Pour sa jambe, il a rien pu faire.— Il a du mal à causer, ajoute Rossel.— S’il en a envie, dit le médecin, c’est déjà bon signe.Les phares éteints, ils sont dans la seule lueur de la fenêtre que tamise le brouillard.Le docteur prend dans la voiture une petite mallette ventrue dont les fermoirs de cuivre brillent.Rossel ouvre la porte et s’efface :— Je reste dehors.Va avec eux, Martin.Dis donc, Raoul, ton loup va pas me dévorer ?— Y te défendrait plutôt.Moins féroce que certains hommes !Ils entrent dans une grande pièce encombrée de deux longues tables, de bancs et de chaises.Une grosse suspension centrale laisse les recoins dans la pénombre.Quatre hommes et deux femmes qui se tenaient près d’un gros fourneau à deux ponts se lèvent et s’avancent dans la clarté.Koliare va droit à une porte tout au fond de la pièce et l’ouvre tandis que Cyrille Labrèche lance de sa voix éraillée :— On aurait bien le temps de crever vingt fois !Personne ne lui prête attention.Raoul, l’Ukrainien et Garneau entrent dans la chambre derrière le médecin.Une forte odeur d’iode se mêle à celle de la lampe à pétrole posée sur la table de chevet recouverte d’un petit napperon bien blanc bordé de dentelle.Elle éclaire une grosse boule de bandes d’étoffe d’où sort un nez violacé serti de sang bruni.L’œil droit très clair remue, la paupière bat.L’œil gauche est fermé, tuméfié, énorme et rouge avec des auréoles violacées.Le père Levé se penche vers le blessé et annonce :— Voilà mon neveu.C’est un meilleur médecin que moi.Il va te guérir.La veuve Billon et Charlotte Garneau sont là également, mais Raoul ne voit que ce nez et cet œil.Il grogne :— Les salauds ! C’est eux qu’on aurait dû corriger.— Ça tardera pas, lance l’Ukrainien.— Taisez-vous, ordonne le père Levé.Allez attendre à côté.La main droite du prêtre blessé se soulève et fait un geste pour remercier.Son œil va de Koliare au trappeur et, à travers l’épaisseur du pansement, sa voix essaie de percer.— Il vous dit merci, fait Charlotte qui apporte une cuvette d’eau fumante.Allez, laissez-nous, à présent
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