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.Après m’avoir saluée d’un geste, le clerc m’a remis la lettre fermée par le sceau de l’archevêque et il a attendu en silence que je brisasse le cachet de cire rouge.Mes mains tremblantes ont obéi à son regard et j’ai déchiffré l’élégante écriture de Thierry II.Mon père lui avait tout avoué concernant Elzéar.En pénitence de ce mensonge par omission dont je m’étais rendue coupable, il me demandait de faire sur-le-champ vœu de silence éternel.Il importait pour le bien de mon fils, comme pour celui du chapitre de Saint-Jean, que je ne dise ou n’écrive plus un mot après réception de cette lettre.Thierry II ajoutait que le clerc qui se tenait face à moi était muet et qu’il recueillerait ma dernière confession avant que ma bouche ne se scellât à jamais, puis qu’il irait porter à Saint-Jean une autre lettre dans laquelle il était précisé que, si je refusais de me plier à ce silence, on murerait ma fenestrelle, ne laissant qu’une fente en hauteur par où l’on me jetterait ma pitance jusqu’à ma mort.Bouleversée, j’ai observé un moment cet homme impassible et silencieux face à moi, et j’ai songé que c’était sa tâche sans doute d’arracher leur voix aux gens, qu’il en faisait moisson de par le monde, qu’il accumulait les secrets avant de coudre les bouches.Comment pouvait-on me mutiler ainsi ? J’avais choisi de me clôturer, non de me taire.Cette fois, la recluse volontaire se changeait bel et bien en prisonnière et je n’étais plus seulement la captive de la jeune fille de quinze ans qui, n’imaginant son bonheur qu’en Dieu, avait fait ériger cette chapelle, de cette naïve damoiselle des Murmures persuadée de gagner la béatitude et la liberté en s’emmurant vivante, d’une innocente qui ne savait encore rien du monde et ignorait à quel point un être peut changer.Non, en me condamnant au silence et en me menaçant de combler ma fenestrelle, Thierry II m’imposait un calvaire dont cette pauvre idiote n’avait jamais rêvé.Celui qui toujours avait condamné les bûchers soufflait sur les braises du mien depuis l’au-delà.Pourtant, mon esprit ne pouvait se résoudre à renier Dieu, nous vivions en un temps où Il animait chaque créature, où Il vibrait dans la moindre brindille, nous agissions sous Son œil.Je ne pouvais douter que des hommes, de ma foi et de moi-même, pas de Son existence.J’ai obtenu de mon bourreau l’autorisation de me recueillir un moment avant de me confesser et de prononcer mon vœu de silence éternel.Bérengère m’a vue refermer mon volet et, comme le messager ne se retirait pas, elle a pensé à l’hagioscope.Elle s’est faufilée dans la chapelle et a murmuré en collant sa bouche au petit trou qui donnait dans ma logette.Je lui ai alors demandé de rester là un moment et j’ai écrit d’un trait la lettre à laquelle j’avais si souvent pensé depuis cette fois où elle était venue me parler d’abattre le vilain mur de mon réduit, puis j’ai chuchoté :« Bérengère, j’ai très peu de temps, écoute-moi bien.Je serai dorénavant prisonnière du silence.Tu m’as proposé un jour d’être ma messagère.Je te confie donc cette lettre avant de prononcer mon vœu, tente de la faire parvenir au pape.Je connais ton pouvoir sur les hommes, tu trouveras peut-être un moyen de la lui remettre.Tes chances sont minces et la route est périlleuse jusqu’à Rome, mais tu es mon unique espoir de sortir vivante de ces murs.Ce qu’on me demande aujourd’hui est au-dessus de mes forces.Toi qui as si bien parlé en mon nom à mon enfant ces derniers temps, tu sauras trouver les mots, dis bien à Elzéar à quel point sa mère l’aime.Je dois me taire maintenant sous peine de ne plus jamais le revoir et de me condamner à prier dans le noir.»J’ai apposé mon sceau à la lettre roulée avant de la glisser dans l’hagioscope.Bérengère a réussi à l’attraper du bout de ses doigts potelés, elle m’a promis qu’elle prendrait la route au plus vite.Alors j’ai rouvert mon volet et me suis pliée à la volonté d’un archevêque mort, écrasé sous sa machine de guerre.Le clerc s’en est allé à Besançon avec ma voix dans sa besace.Mon fils est revenu au château des Murmures le surlendemain.Bérengère l’a aussitôt conduit à moi.Comme sa peau et ses cheveux avaient foncé, comme il m’a paru grand et beau !Mon enfant est resté un moment interdit devant ma fenestrelle avant de s’enfuir à toutes jambes, loin de cette affreuse femme, muette, sale et décharnée qui lui tendait les bras à travers ses barreaux en pleurant.Certes ton époque n’enferme plus si facilement les jeunes filles, mais ne te crois pas pour autant à l’abri de la folie des hommes.J’ai vu passer les siècles, l’histoire n’a jamais cessé de chambouler nos vies et les évidences sont infiniment fragiles.Les certitudes sont de pâte molle, elles se modèlent à volonté [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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